Da lista der-histanmeder-l@listserv.ucm.es,
administrada pelo Doutor Pedro A. Porras, transcrevo, com a devida vénia, a
seguinte notícia, acabada de chegar, pois que Jean-Pierre Vernant constitui uma
referência nos estudos sobre a Antiguidade Clássica em geral.
----- Original Message -----
From: Pedro A. Porras
Sent: Friday, January 12, 2007 3:06 PM
Subject: Necrológica: Jean-Pierre Vernant (L'AFAD) Nécrologie
Jean-Pierre Vernant, grand résistant et helléniste, est mort LE MONDE du 11 janvier 2007 Jean-Pierre Vernant est mort mardi 9 janvier, à son domicile, à Sèvres (Hauts-de-Seine). Celui dont les travaux ont bouleversé le regard sur l'homme et le monde de la Grèce antique, du CNRS (1948) à l'Ecole pratique des hautes études (1958), puis au Collège de France (1975), venait d'avoir 93 ans. Bibliographie sélective Chez Maspero : Mythe et pensée chez les Grecs (1965) ; Mythe et société en Grèce ancienne (1974) ; Religion grecque, religions antiques (1976) ; Religion, histoires, raisons (1979). Chez d'autres éditeurs : Les Origines de la pensée grecque (PUF, 1962) ; La Mort dans les yeux (Hachette, 1985) ; L'Individu, la mort, l'amour (Gallimard, 1989) ; Mythe et religion en Grèce ancienne (Seuil, 1990) ; L'Univers, les dieux, les hommes. Récits grecs des origines (Seuil, 1999). Les Mémoires : Entre mythe et politique (Seuil, 1996) et La Traversée des frontières (Seuil, 2004). Avec Pierre Vidal-Naquet : Mythe et tragédie en Grèce ancienne (tome 1 : éd. Maspero, 1972 ; tome 2 : La Découverte, 1986) ; Travail et esclavage en Grèce ancienne (Complexe, 1988). Avec Marcel Détienne : Les Ruses de l'intelligence (Flammarion, 1974) ; La Cuisine du sacrifice en pays grec (Gallimard, 1979). Sous la direction de Jean-Pierre Vernant : L'Homme grec (Seuil, 1993) ; Mythes grecs au figuré, de l'Antiquité au baroque (Gallimard, 1996). Né à Provins (Seine-et-Marne) le 4 janvier 1914, Jean-Pierre Vernant reste orphelin à 8 ans, après la mort de sa mère, puisqu'il n'a pas connu son père ? ce qui lui fit dire qu'il ne savait pas trop ce qu'est le complexe d'?dipe. Une boutade, puisque, même recomposée, la figure paternelle fut décisive. Engagé volontaire dans l'infanterie aux premières heures de la Grande Guerre, Jean est mort au front en 1915. Cet agrégé de philosophie, qui avait dû renoncer à la carrière universitaire pour reprendre l'entreprise de presse que son père avait fondée à Provins à la fin du XIXe siècle, sut défendre avec Le Briard les options éthiques d'une lignée d'intellectuels engagés dans le siècle, anticléricaux, voire antireligieux, et dreyfusards de la première heure. Un héritage que ses deux fils, Jacques et Jean-Pierre, reçus tous deux majors de l'agrégation de philosophie ? un exploit inédit ! ? n'eurent de cesse d'assumer. Quand l'aîné, Jacques, dénonce à l'été 1939 la signature du pacte germano-soviétique, Jean-Pierre, le cadet, rappelle que "le vrai courage, c'est, au-dedans de soi, de ne pas céder, ne pas plier, ne pas renoncer. Etre le grain de sable que les plus lourds engins, écrasant tout sur leur passage, ne réussissent pas à briser". Partager cette profession de foi suffit à vous faire adopter comme frère d'armes, puisque la résistance ne peut qu'être un combat, pour soi et les autres. "SE FAIRE GREC AU-DEDANS DE SOI" D'entrée, la vie de Jean-Pierre Vernant semble placée sous le signe de la fraternité. Son frère d'abord et les cousins et cousines font de l'enfance à Provins un univers de joyeuse bande s'égaillant dans le jardin familial; les études à Paris, au lycée Carnot, puis l'hypokhâgne à Louis-le-Grand n'y changent rien, sinon que le cercle des"frères" s'élargit aux militants antifascistes qui font avec lui dès février 1934 le coup de poing au Quartier latin contre les tenants de l'Action française, comme aux activistes et sympathisants communistes, dont il partage le violent rejet du nationalisme. Si son frère reste sur les marges, "Jipé" s'engage ? il n'acceptera toutefois jamais aucune responsabilité au sein du parti, même s'il conserve sa carte jusqu'en 1970, exerçant de l'intérieur la critique du dogmatisme qui ruine la généreuse philosophie de l'idéal communiste, au point qu'il se"réfugie" dès 1948 sur les terres de la Grèce ancienne. Pour mieux conserver cet espace de liberté et cette marge de man?uvre intellectuelle refusés au sein du PCF aux penseurs du contemporain. Un retrait moins paradoxal qu'il n'y paraît, puisque c'est en essayant "de se faire grec au-dedans de soi", dans ses façons de penser et ses formes de sensibilité, qu'il a retenu les leçons dont il s'est fait l'infatigable passeur : l'exigence d'une totale liberté d'esprit, dont le crible critique ne reconnaît ni dogme ni interdit, le credo en une participation de l'individu à une communauté d'égaux qui fait autant l'homme que le citoyen, la fascination pour la beauté du monde, qu'il convient de recevoir avec cette gratitude qui arme les champions. Pour ces joutes, amorcées dès la vingtième année, il faut une hygiène d'athlète. Le jeune homme, qui fut, adolescent, sociétaire du Racing, foulant la cendrée des stades et avalant les longueurs de piscine, quand il n'affrontait pas l'océan à Saint-Jean-de-Luz, part à la découverte des reliefs, à pied et en bande. Toujours ce compagnonnage qui définit une famille d'esprit, la seule qui vaille. Culottes courtes et sac à dos, il parcourt les Alpes ? ce grand randonneur devait du reste, sitôt après l'agrégation, en 1937, être affecté lors de son service militaire au 6erégiment des chasseurs alpins?, d'autres horizons plus lointains aussi, de la Corse à la Grèce, qu'il découvre à l'été 1935, en pleine dictature de Metaxas. Dans la volonté de rencontrer les Hellènes, le contexte politique lui importe davantage que la confrontation physique au berceau de la culture occidentale; pas de révérant retour aux sources donc, même s'il finit par gravir l'Acropole. De fait, c'est en anthropologue qu'il arpente ces terres pour lui nouvelles, au nom d'une universelle fraternité humaine dont il mesure alors la force, et dont le souvenir l'éblouit encore. Fraternité reste le maître mot avec l'épreuve de la guerre. Démobilisés à Narbonne à l'été 1940, les frères Vernant, en marge d'un activisme qui commence par la distribution de tracts qu'ils impriment eux-mêmes, retrouvent leur vocation première : l'enseignement. L'aîné est affecté à Clermont, le plus jeune à Toulouse. C'est là que Jean-Pierre rencontre réellement Ignace Meyerson, inventeur de la psychologie historique, dont il a suivi les cours en Sorbonne avant guerre et qu'une amie de sa femme Lida lui a adressé à Narbonne. Il devient dès lors son disciple. Comme lui, il entre dans l'Armée secrète et, au sein du mouvement Libération Sud, travaille à la libération du territoire. Plus tard, les mêmes soutiens l'entraînent à d'autres équipées ? intellectuelles celles-là : grâce à Jean Bottéro et Elena Cassin, Jacques Gernet, Luc Brisson et Jean Yoyotte, la Mésopotamie, la Chine, Rome et l'Egypte rencontrent la Grèce. Au nom de l'amitié et d'une préoccupation commune : le comparatisme. AVANCÉES "SUR LA FRONTIÈRE" Dès le début des années 1960, le groupe d'amis se réunit une ou deux fois par mois, dans une salle du Musée Guimet. On y débat de grands problèmes : le pouvoir, la guerre, Dieu, et chacun présente succinctement la physionomie de la question dans son espace d'études. Séances de travaux pratiques d'un comparatisme dont ils inventent les règles. Deux ou trois ans de cette pratique et chacun se convainc qu'il serait bon d'institutionnaliser l'aventure. Le Centre, que Vidal-Naquet devait placer sous la figure tutélaire de Louis Gernet, père de l'anthropologie historique, naît en 1964. Premières enquêtes : Terre et occupation du sol, divination et rationalité, la mort et les morts? Le monde officiel des hellénistes est distant, voire haineux devant ces avancées "sur la frontière", mais rien ne peut enrayer le mouvement, d'autant que d'autres, ailleurs (Jean Bollack à Lille, Pierre Lévêque à Besançon), travaillent dans le même sens. Et l'élève de Meyerson peut mesurer, malgré l'hostilité des sorbonnards, la fécondité et la divulgation à l'étranger des pistes amorcées par la bande. Le courant a bientôt son adresse éditoriale. Grâce à l'engagement de François Maspero, qui publie en 1965 Mythe et pensée chez les Grecs, dans la collection de Vidal-Naquet "Textes à l'appui". Certes, c'est le philologue Georges Dumézil qui commande d'abord à Vernant un court essai pour la collection des PUF "Mythes et religions" : ce sera Les Origines de la pensée grecque (1962) ? "Un livre 'contre' puisque cette machine de guerre était autant dirigée contre le PC que contre les tenants du 'miracle grec'". Mais c'est la disparition de Gernet, la même année, qui sert de déclic. Le recueil des articles du maître attendu par Les Belles Lettres n'intéresse plus l'éditeur et serait resté dans les cartons sans la générosité et l'intelligence de Maspero. Désormais, les élèves de Vernant savent où prendre leur envol : Nicole Loraux, Alain et Annie Schnapp, François Hartog, François Lissarrague, Françoise Frontisi-Ducroux, Pauline Schmitt-Pantel, Hélène Monsacré? En marge de cette aventure collective, Vernant, dont la renommée internationale s'impose bien avant la distinction suprême ? la médaille d'or du CNRS en 1984 ?, fut aussi un défenseur acharné du grec. Toujours mobilisé par la défense des langues anciennes, dont il s'alarmait de la mort programmée par les options scolaires, le philosophe y voit plus qu'un enjeu d'érudition, le problème de la dette envers les origines. "Notre monde n'est compréhensible que si on cherche comment ça a été fabriqué." Relayée par les mondes romain et arabe, la civilisation grecque participe d'un creuset méditerranéen, matrice humaine, où Vernant tente de "comprendre ce qui aujourd'hui est précieux". Ce qui mérite d'être passé au fil des générations. Comme le témoin d'un relais entre égaux. C'est cette mission que Jean-Pierre Vernant s'est choisie, et qu'il a impeccablement remplie, avec l'ardeur d'un esprit libre en résistance. Philippe-Jean Catinchi Un antimilitariste en Résistance LE MONDE Sous les drapeaux depuis trois ans, le militant communiste Jean-Pierre Vernant écoute à Narbonne, au côté de son frère Jacques, l'allocution par laquelle Pétain annonce, le 17 juin 1940, qu'il faut cesser le combat et qu'il a demandé un armistice. Les deux frères pleurent de dépit et ne mordent pas un instant à l'hameçon. Dès qu'ils le peuvent, ils confectionnent des papillons qu'ils collent la nuit dans la ville audoise. Jean-Pierre Vernant se remémorait, à la fois fier et amusé, deux slogans que son frère et lui, reçus l'un comme l'autre premiers à l'agrégation de philosophie en 1935 et 1937, avaient alors laborieusement conçus : "La France est dans l'eau sale. C'est la faute à Laval" et ? dans le climat d'anglophobie consécutif à Mers el- Kébir ? "Vive l'Angleterre pour que vive la France !". Démobilisé en août 1940, nommé professeur au lycée de Toulouse fin novembre, Jean-Pierre Vernant y retrouve son maître Ignace Meyerson, grâce auquel il côtoie la Résistance intellectuelle de la ville. Très vite, un groupe se forme autour de lui. Chaleureux, séduisant, ouvert, Vernant, qui ne reçoit aucune directive du PCF, sonde les potentialités toulousaines pour tisser ses réseaux. Au début de 1942, via son frère et Jean Cavaillès, il entre avec ses amis dans le mouvement Libération de zone sud, dont il dirige les groupes paramilitaires à Toulouse. Quand est créée l'Armée secrète, cet antimilitariste patenté en devient le chef départemental pour la Haute-Garonne. Tout en exerçant son métier d'enseignant, il organise coups de main, sabotages et transports d'armes. Le colonel Berthier travaille à forger et à consolider un appareil militaire efficace. Au printemps 1944, il dirige les Forces françaises de l'intérieur au niveau départemental. Après le 6 juin, il prend le maquis et prépare, en liaison avec Serge Ravanel, la libération de Toulouse. Le 19 août, il y entre à la tête de ses hommes. Fin septembre, il est chef FFI de la région R4. De sa Résistance, Jean-Pierre Vernant ne parlait d'ordinaire pas. Il ne l'évoquait pas si aisément non plus devant ceux qui l'interrogeaient à ce sujet. Non qu'il fût difficile d'accès. On entrait intimidé dans son bureau du Collège de France ; on en ressortait étonné que le tutoiement ait été d'emblée de mise et confondu par une simplicité qui n'était pas feinte. L'entretien décanté, il fallait pourtant se rendre à l'évidence : en dépit d'un abord avenant, il livrait peu de chose sur cette période cruciale. Peut-être parce qu'il redoutait de passer pour un ancien combattant radoteur. Plus probablement parce qu'il tenait à cette expérience comme à la prunelle de ses yeux ; il avait partagé là une intimité hors pair avec des camarades choisis, et sans doute cet orateur incomparable craignait-il, en ne trouvant pas les mots justes, de la trahir. C'est seulement au soir de sa vie qu'il se résolut à écrire avec retenue et dans un registre réflexif sur cette histoire singulière. Cette modestie et cette réserve dissimulaient un parcours résistant éclatant qui lui avait valu de se voir décerner en janvier 1946 la croix de la Libération. Laurent Douzou "Il regardait la lune avec les yeux des Grecs" LE MONDE DES LIVRES La disparition de Jean-Pierre Vernant (Le Monde du 11 janvier) laisse un vide d'autant plus sensible qu'elle suit de peu celle de son ami et complice Pierre Vidal-Naquet, le 28 juillet 2006. Quatre spécialistes des civilisations antiques - Charles Malamoud, Claude Mossé, Eva Cantarella et François Lissarrague - témoignent de la singularité du savant et de son humanité exceptionnelle en se pliant aux règles d'un questionnaire concis. Comment avez-vous rencontré Vernant, l'homme comme l'oeuvre ? Charles Malamoud : C'est par Pierre Vidal-Naquet que j'ai connu les écrits de Jean-Pierre Vernant dans les années 1965-1966. Jean-Pierre Vernant, c'est aussi grâce à Pierre que je l'ai rencontré. En Mai 68, à la Sorbonne. Je dois dire qu'après la mort de Pierre Vidal-Naquet cet été, après la disparition de Vernant mardi, j'ai le sentiment que mes points d'appui se dérobent, que je suis cerné par le néant, ou du moins que je suis désormais un survivant. Nous allons nous ressaisir et nous dire que ce XXe siècle d'épouvante a eu aussi sa grandeur tragique puisqu'il a produit des témoins, des penseurs comme ceux qui viennent d'entrer dans l'histoire. Vernant était mon aîné de quinze ans : il avait donc pour moi le statut et la stature d'un maître ; de plus il avait été acteur et combattant pendant cette guerre qu'enfant je n'avais fait que subir. Pour moi le maître était donc aussi une figure héroïque et un homme étonnamment doué pour le bonheur. Un bonheur dont l'amitié était une composante essentielle. Claude Mossé : La première fois que j'ai rencontré Jean-Pierre Vernant, c'était dans le bureau de mon directeur de thèse, André Aymard. Je le connaissais comme un grand résistant et aussi comme un communiste atypique à travers ses articles de l'hebdomadaire Action. Je découvris alors qu'il s'intéressait aussi à la Grèce en préparant une thèse sur le travail en Grèce. Bien qu'alors enseignant en province, j'eus l'occasion de le rencontrer plusieurs fois, mais l'une de ces rencontres eut sur moi un effet extraordinaire. Car, à partir d'un article de Charles Parain sur la lutte des classes dans l'Antiquité, il évoqua ma thèse qui venait de paraître et en fit en quelques mots une analyse qui me laissa éblouie tant il me faisait dire des choses intelligentes. Ce fut le début de ce qui allait devenir une grande amitié et en même temps l'origine du Centre de recherches comparées sur les sociétés anciennes. Eva Cantarella : J'ai rencontré Vernant à travers son oeuvre, avant de le rencontrer personnellement. La lecture de Mythe et pensée chez les Grecs, en 1965, a été foudroyante. Ce n'était pas un simple livre, c'était un programme de recherche, une invitation à approcher les Grecs d'une façon nouvelle, dont les antiquisants - surtout les plus jeunes - avaient besoin pour sortir de ce qui paraissait alors comme une sorte de sclérose des études classiques. Ce que proposait Vernant était un "retour aux Grecs". Bien sûr, pas les Grecs "du miracle", mais l'homme grec, cet homme "que l'on ne peut pas séparer du cadre social et intellectuel dont il est à la fois le créateur et le produit". C'était la promesse d'une histoire intérieure liée à l'histoire des civilisations. J'ai fait sa connaissance, en 1980, à l'occasion du séjour à Paris d'un autre grand savant, aujourd'hui disparu, Arnaldo Momigliano. Cette rencontre fut un nouveau foudroiement : autant que le savant, l'homme était extraordinaire. Ce qui n'arrive pas souvent... François Lissarrague : J'ai lu Les Origines de la pensée grecque en 1969, sur le conseil de François Aron, qui recommandait aux étudiants d'"agreg" de le lire mais de ne pas le citer dans les copies. Plus tard, j'ai suivi les cours de "Jipé" au Collège de France quand j'ai été nommé en lycée à Paris. Que pensez-vous que ce philosophe ait apporté de décisif aux sciences humaines ? Ch. Ma. : C'est bien en philosophe, en effet, que Vernant s'est formé aux études grecques et à l'histoire. Ce qui me semble son principal apport, c'est l'idée de l'anthropologie historique. Il y a aussi l'idée que le comparatisme est possible non pour faire apparaître des ressemblances entre deux cultures qu'on peut rapprocher parce qu'elles sont en quelque sorte apparentées, mais pour travailler sur des notions, des objets intellectuels dont on éprouve la validité et que l'on affine en voyant quel sens ils peuvent avoir dans des contextes différents. Bien sûr, il faut savoir choisir. Ce qui m'a surtout retenu, ce sont les travaux de Vernant sur le sacrifice, le corps des dieux et l'image. L'idée aussi que dans un ensemble culturel donné, il faut savoir mettre en lumière les tensions autant et plus que l'harmonie. Enfin et surtout, Vernant donne l'exemple d'une rationalité qui se consacre à l'étude de ce qui chez les hommes est irrationnel. Cl. Mo. : Philosophe, Vernant l'était certes, mais sa formation marxiste impliquait de ne pas séparer la philosophie du contexte qui l'avait vu naître en Grèce ancienne. Un contexte pour lui d'abord lié à la naissance du politique. Son premier livre, Les Origines de la pensée grecque, mettait en évidence la relation entre l'apparition de la cité et l'existence d'un lieu central où s'affrontaient les opinions contradictoires. En cela, il s'affirmait comme le disciple de Louis Gernet, dont la thèse sur la naissance du droit grec avait mis en évidence cette relation. C'est à partir de l'analyse de l'oeuvre du "physicien" Anaximandre, que Vernant démontra comment s'était développée en Grèce une pensée "rationnelle". Il devait par la suite nuancer son analyse, mais l'histoire des sociétés et le fonctionnement du politique demeuraient toujours au coeur de sa démarche, comme en témoigne encore La Traversée des frontières. E. C. : Vernant a été élève d'Ignace Meyerson, le fondateur de la psychologie historique, et a travaillé à côté de Gernet, autre grand antiquisant ; il a aussi été très proche de Lévi-Strauss. En utilisant des outils de travail traditionnellement ignorés des spécialistes du monde ancien, il a changé les perspectives et permis de découvrird' "autres Grecs". Pour citer une des ses phrases que j'aime, je dirais qu'il nous a enseigné à regarder "la lune avec les yeux des Grecs". Il a ouvert la route à l'anthropologie du monde antique. A mes yeux, son oeuvre a été révolutionnaire. F. L. : C'est en effet en philosophe que "Jipé" a réfléchi sur les questions d'anthropologie historique. Et c'est ce décalage qui a été fécond ; en introduisant le comparatisme, en mettant la Grèce à distance, il a rendu possible une anthropologie de la Grèce ancienne, qui a servi autant aux hellénistes qu'aux anthropologues, si le terme s'est aujourd'hui banalisé. Dans le domaine des images, Vernant nous a permis de déplacer le problème classique de l'"art" grec vers une interrogation sur le statut de l'image et de la figuration dans le monde grec ancien. Personnellement, de quoi vous sentez-vous redevable envers lui ? Ch. Ma. : Je n'en finirai pas de reconnaître mes dettes à son égard. Ma dette intellectuelle, je l'ai esquissée. Ma dette personnelle peut se résumer ainsi. Son intervention a été décisive dans mon élection à la Ve section de l'EPHE. Plusieurs de mes travaux parmi ceux qui ont le plus compté pour moi ont été d'abord présentés sous forme d'exposés au séminaire de Vernant, notamment mes idées sur les honoraires sacrificiels, sur les mythes fondateurs de la société divine, sur les représentations et spéculations concernant le corps des dieux. L'attention avec laquelle Vernant écoutait, l'art qu'il avait de résumer ce que j'avais dit en lui donnant une profondeur que je ne soupçonnais pas sont pour moi à la fois un modèle et un souvenir infiniment précieux. Cl. Mo. : J'évoquais l'impression que me fit la façon dont Vernant avait su dégager de ma thèse des analyses que je n'avais fait qu'entrevoir. Depuis, je n'ai cessé de le lire et d'apporter à ce qui au départ relevait de ma part d'un marxisme un peu élémentaire et d'une démarche d'historienne traditionnelle les nuances nécessaires pour mettre en particulier en lumière les contradictions d'un système politique sans équivalent dans les autres mondes anciens, à savoir la démocratie. E. C. : Je me sens envers lui redevable de bien des choses. Entre autres, de m'avoir aidée à découvrir l'altérité : pas seulement celle des Grecs, mais aussi celle des Romains. L'apport de ses travaux a largement dépassé le seul monde des spécialistes de la Grèce, il a été fondamental pour tous ceux qui travaillent sur le monde ancien, quelle que soit leur spécialité. En ce qui me concerne, grâce à lui, j'ai pu approcher les textes juridiques romains "en me dépaysant", et j'ai découvert un droit romain bien plus intéressant que celui qu'on m'avait appris dans une perspective "présentiste" (cette historicisation d'un présent qui se suffit à lui-même, comme le définit François Hartog), c'est-à-dire le droit romain nécessaire pour être avocat aujourd'hui. F. L. : Outre qu'il m'a ouvert les yeux et l'esprit, il a été un merveilleux lecteur, un auditeur qui a su me faire comprendre ce que j'essayais de faire maladroitement. Attentif à chacun, quel qu'il soit, sans distinction de hiérarchie et de pouvoir, il nous a mis en situation d'égalité et nous a, collectivement, associés à son aventure grecque. Charles Malamoud est directeur d'études honoraire à la section des sciences religieuses de l'Ecole pratique des hautes études. Derniers livres parus : Féminité de la parole. Etudes sur l'Inde ancienne (Albin Michel, 2005), et La Danse des pierres (Seuil, 2005). Claude Mossé est professeur émérite de l'université Paris-VIII où elle enseigna l'histoire grecque. Dernier livre paru : Périclès. L'inventeur de la démocratie (Payot, 2005). Eva Cantarella est professeur de droit grec et de droit romain à l'université de Milan. Dernier ouvrage paru en français : Ithaque. De la vengeance d'Ulysse à la naissance du droit (Albin Michel, 2003). François Lissarrague est directeur d'études à l'EHESS en anthropologie historique. Dernier ouvrage paru : Vases grecs. Les Athéniens et leurs images (éd. Hazan, 1999). Propos recueillis par Philippe-Jean Catinchi Article paru dans l'édition du 12.01.07. Saludos cordiales
Pedro Andrés Porras Arboledas http://www.ucm.es/info/hisdere http://www.ucm.es/info/byblos |
Mensagem anterior por data: [Archport] Protocolos, Padrões ou Normas? | Próxima mensagem por data: [Archport] Becas postgrado Universidad de Reading |
Mensagem anterior por assunto: [Archport] Morada web que considero de todo interesse | Próxima mensagem por assunto: [Archport] Morte de Clark Howell |